Le bal de Modi
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf
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L’Inde et le Pakistan, puissances nucléaires, renouent avec une nouvelle phase d’affrontement, après trois conflits (1947-1948, 1965 et 1971) depuis la Partition de 1947, sans compter les dernières décennies ponctuées d’actes terroristes et d’accrochages au Cachemire indien (Etat du Jammu-et-Cachemire). Autant de heurts qui ont fait, jusqu’à présent, des dizaines de milliers de victimes, civiles et militaires. Sous le regard calculateur et cynique de la Chine, qui s’affiche comme alliée du Pakistan tout en restant focalisée sur la vaste région himalayenne – le Toit du monde fort de 750 000 kms² – au milieu de milliers de glaciers, coffres-forts d’un « or bleu » de plus en plus éphémère.
Depuis le milieu des années 2010, la situation n’a cessé de se dégrader dans l’espace transfrontalier cachemiri. On est encore loin de la guerre totale mais les risques de dégradation majeure sont dans les esprits, depuis les crises notables de 2016 et 2019, et avec celle qui vient de s’ouvrir…
Le 22 avril 2025, un nouvel attentat a visé des touristes indiens, dans la région de Pahalgam du Jammu-et-Cachemire et fait 26 victimes. Un commando de 5 hommes a ainsi sciemment ciblé des hindous. L’attentat a été revendiqué par un Front de Résistance – jusqu’ici inconnu – qui dénonce une colonisation indienne destinée à renverser l’ordre démographique au profit des hindous. Selon les services de renseignement indiens, il s’agirait d’un mouvement islamique rattaché au tristement célèbre Lashkar-e-taiba, courant fondamentaliste autant que djihadiste, créé en 1981, dont les relations avec divers responsables et membres des services de renseignement pakistanais (Inter-Services Intelligence – ISI) sont bien réelles depuis des décennies.
Toujours est-il que l’attentat du 22 avril est un véritable camouflet pour les autorités indiennes, locales et nationales. Narendra Modi se targuait encore récemment d’avoir contribué à améliorer sensiblement la situation sécuritaire cachemirie.
En réaction incisive, les Indiens ont lancé l’opération « Sindoor » pour venger les victimes de l’attentat. Elle s’est traduite par 4 jours d’opérations, avec le bombardement de neuf sites pakistanais entre le 7 et le 10 mai. L’armée indienne a eu recours à des drones, usé de tirs d’artillerie, sans compter les frappes aériennes.
Dès le mercredi 7 mai, au nom de son pays désireux de ne pas perdre la face, le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Muhammad Asif, affirmait que trois avions de chasse Rafale de l’armée de l’air indienne, conçus on le sait par le groupe français Dassault Aviation, avaient été abattus, tout comme un MiG-29, un Soukhoï Su-30. Il déplorait par ailleurs 26 tués et 46 blessés parmi les populations civiles. Si New Delhi n’a pas confirmé le nombre d’appareils perdus, tous les sites d’informations et les journalistes indiens faisant état de la perte des trois Rafale ont été censurés.
Les Etats-Unis ont rapidement tenu à motiver l’apaisement entre les deux Etats voisins. Un cessez-le-feu fut annoncé le 10 mai mais violé presque aussitôt. Reflet pathétique d’une situation qui perdure entre les deux frères ennemis jusqu’auboutistes et fanatiques, aveuglés par l’orgueil populaire, lui-même gonflé par les groupes nationalistes et religieux et leurs prétentions respectives. Tout cela pour le cachemire indien de 92 437 km² – presque l’équivalent du Portugal – dont la population est à majorité musulmane et qui, il faut bien l’admettre, y est malmenée. Le Pakistan réitère, depuis 1947, qu’il est impératif d’y organiser un référendum d’autodétermination, comme le prévoyait les résolutions de l’ONU. Or, cela reste inaccompli car l’Inde s’y refuse catégoriquement.
New Delhi accuse régulièrement le Pakistan de soutenir et financer des courants islamiques qui frappent au Cachemire indien. Islamabad lui rétorque que les actions menées contre les Indiens émanent strictement des populations locales du Cachemire indien.
Le 12 mai dernier, en collusion avec les ultranationalistes dont il partage depuis bien longtemps diverses convictions, Modi s’est adressé à la nation indienne et a tenu un discours véhément à l’égard du régime pakistanais : « Je le dis au monde entier : nous identifierons, poursuivrons et punirons les terroristes et ceux qui les soutiennent. Nous les poursuivrons jusqu’au bout de la terre ». Conjointement, l’Inde a décidé de suspendre l’accord de Karachi (1960) qui permettait jusqu’à présent le partage des eaux de l’Indus et de ses affluents entre l’Inde et le Pakistan. On est donc loin de l’apaisement par ailleurs clamé en direction de la communauté internationale, comme dans une danse de dupes.
Narendra Modi est loin d’être modéré. Déjà, lorsqu’il était Ministre en chef du Gujarat entre 2001 et 2014, s’était fait remarquer par sa politique sciemment antimusulmane au point que lui soient reprochés les massacres de musulmans (près de 2 000 victimes) notamment en 2002. Depuis qu’il occupe les fonctions de Premier ministre, Modi joue la carte d’un nationalisme agressif en aspirant toujours plus le Jammu a Cachemiri dans le cercle de New Dehli, sur fond de politique sécuritaire. Il a ainsi ordonné le fichage tous les résidents du territoire, au titre de la lutte contre le terrorisme islamique et d’une religiosité pro-hindoue clairement affichée. On se souvient qu’en janvier 2024, le temple de Ram avait été inauguré à Ayodhya, à la place d’une mosquée détruite en 1992, par des fanatiques hindous.
En France, le pouvoir exécutif se garde bien de toute critique à l’égard de New Delhi ou d’appel à une politique juste – ce qu’il ne pratique plus lui-même depuis bien longtemps. La seule inquiétude portait sur le fait que des avions Rafale aient pu être abattus par la défense antiaérienne pakistanaise, de crainte que cela n’entache la réputation du Dassault Aviation. La presse française, écrite ou télévisée, a insisté lourdement sur les faits… Nous sommes face à une crise conflictuelle et l’on s’inquiète des conséquences économico-financières pour l’avionneur… Une fois de plus, on a totalement inversé l’ordre des priorités et des préoccupations. C’est dire le degré d’obsession mercantile qui habite nos « sphères décisionnelles » loin de toute considération purement liée à l’inquiétude inhérente au risque de déstabilisation tragique du sous-continent indien.
La situation est en tout cas des plus absurdes…une fois de plus.
Irwin Shaw (1913-1984), célèbre écrivain et scénariste américain, avait laissé une œuvre notable, Le Bal des maudits (1948) ; analyse forte quant à l’absurdité de la guerre et de la valse des êtres humains plongés, bon gré mal gré dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, et toutjours, on observe des individus qui, finalement, ne sont pas vraiment maîtres – même si certains en sont aveuglément convaincus – des évènements mais plutôt réduits au rang de pauvres pantins ou de valets… assurément de victimes directes et indirectes du Pire…
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Pour ce 257ème numéro d’Espritsurcouf, Laure Fanjeau, via sa rubrique, revient ainsi sur les relations indo-pakistanaises en proposant divers pod-cast qui permettront de prolonger autant que d’approfondir ce sujet brûlant. Conjointement, elle propose un focus sur la remise des prix de la 5ème édition des « Galons de la BD » par la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, Patricia Miralles ; remise qui s’est tenue à l’École du Val-de-Grâce, lundi 12 mai. Trois lauréats, parmi vingt finalises, ont ainsi été récompensés et son histoire (rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).
Alors qu’Emmanuel Macron dressait une énième fois, à la télévision le 13 mai, un bilan verbeux et autosatisfait de sa présidence, en faisant fi de toutes les difficultés économiques et sociales majeures, Vincent Gourvil rappelle combien l’éclat et l’élan français sont des plus réduits : « De l’intérieur à l’extérieur : la France qui tombe ! » (rubrique HUMEURS).
Les questions géopolitiques restent à l’honneur dans ce numéro avec notamment l’étude que Sarah Caron consacre à la teichopolitique ou la politique du mur et du cloisonnement de l’espace en Europe. Son étude est publiée en deux parties. La suite et fin sera éditée dans notre prochain numéro (258) : « Des murs aux frontières européennes » (rubrique GEOPOLITIQUE).
Du côté des questions économiques, les tensions nouvelles qui ont brutalement émergé sous l’impulsion brutale de la politique douanière de Donald Trump, ont des répercussions notables sur les produits américains. Géraud de Vaublanc dresse à cet effet à un état de la situation : « Vicissitudes de Tesla et des marques américaines » (rubrique ECONOMIE).
André Dulou, avec son SEMAPHORE « Paix : Mots et actes », propose une sélection plurithématique d’articles de presse
Enfin, côté édition, nous portons votre attention sur le dernier ouvrage de Philippe Sidos, officier général en Deuxième section, consacré à Afghanistan dont il est spécialiste. Il revient ainsi sur l’histoire conflictuelle de ce même pays, depuis le XVIIIème siècle, en insistant surtout sur la période du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Diplômé de l’École de guerre, docteur en histoire et diplômé de l’INALCO, il a occupé les fonctions d’attaché de défense en Russie, au Tadjikistan et au Kazakhstan et a effectué des séjours opérationnels dans les Balkans, au Caucase, en République démocratique du Congo, au Liban et à plusieurs reprises en Afghanistan. Il est déjà auteur de divers articles sur le sujet et a publié un précédent ouvrage sur la guerre russo-afghane, La guerre soviétique en Afghanistan, en 2016, aux éditions Economica. Aujourd’hui, il publie donc son nouvel opus aux éditions Perrin : Philippe Sidos, Histoire des guerres d’Afghanistan. Ed. Perrin, 2025 (rubrique LIVRES).
Bonne lecture,
Pascal Le Pautremat
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |
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