Les variables de la realpolitik

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Pascal Le Pautremat
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

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Le 22 septembre 2023, en visite au Canada, le président ukrainien, Volodymyr Zelensksi, a été invité à s’associer aux parlementaires canadiens pour rendre un hommage appuyé à un ancien combattant ukrainien de 98 ans, Yaroslav Hunka, au nom du souvenir de la guerre patriotique menée contre les Soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale.

D’abord, ce choix pouvait tout de même mettre mal à l’aise car, faut-il le rappeler, l’URSS participait à l’effort conjoint – dans le camp des Alliés donc – pour mener des offensives simultanées, destinées à libérer l’Europe du joug nazi. Certes, la Russie stalinienne fut écœurante et les Ukrainiens ont subi un véritable massacre indirect, par la faim, dans l’entre-deux-guerres, avec Holodomor, et furent exposés à bien des souffrances après 1945.

Ensuite, il s’avère que Yaroslav Hunka fut, pendant la période 1943-1945, membre de la 14ème division la Waffen SS « Galicie », créée en mai 1943, et engagée notamment dans la lutte contre les partisans en Pologne. Cette division commit de nombreux crimes de guerre et contre l’humanité en massacrant par exemple les populations de villages comme celui de Huta Pieniacka, le 28 février 1944 (entre 800 et un millier de victimes selon les sources) ou encore de Pidkamin, 11 mars 1944 (2 000 tués la plupart étant des femmes et des enfants). La division SS « Galicie » combattit quelques mois plus tard en Slovaquie puis, début 1945, en Slovénie, affrontant les partisans de Tito, en corrélation avec les Tchetniks, miliciens serbes foncièrement anti-communistes, avant d’être dissoute en mai 1945.

Yaroslav Hunka ne dissimula jamais son appartenance à la Division Galicie. Il tint même un blog personnel, sur le Net, où il y relatait, jusqu’en 2010, ses années de combat avec une certaine nostalgie.

Enfin, quand on sait que de nombreux personnels des camps de concentration ou d’extermination étaient des Ukrainiens (outre les Lettons, Lithuaniens, Estoniens et Biélorusses) cela suscite un profond malaise et rend l’hommage au vieil homme encore plus surréaliste.

Les médias français, à la différence de leurs homologues anglo-saxons, ont donné l’impression de tarder à faire état de ce grave incident. Etait-ce parce que cela pouvait donner l’impression de donner du grain à moudre au régime russe qui, depuis des années, dénonce le maintien d’un courant pronazi de en Ukraine ? C’est pourtant une réalité. La Division Galicie est d’ailleurs régulièrement commémorée et ses morts honorés. Dans les années 2000-2010, les partis néo-nazis pouvaient compter sur 15 à 20% des suffrages.

Quoiqu’il en soit, l’affaire « Yaroslav Hunka » s’est soldé par la démission du président du parlement canadien, Anthony Rota, le 26 septembre 2023, tant l’émoi médiatique et politique fut considérable autant que justifié. Il faut bien reconnaître l’amateurisme qui prévalut quant à la préparation de cet hommage à un vieil homme dont le parcours durant la Seconde Guerre mondiale n’a visiblement mobilisé aucun service ministériel canadien pour faire toute la lumière sur son passé.

Mais, là où l’agression russe à l’égard de l’Ukraine focalise l’attention européenne, celle de l’Azerbaïdjan à vis-à-vis des Arméniens, notamment au Haut-Karabagh (6 742 km²) semble se dérouler, comparativement, sous des regards oscillant entre indifférence et réprobation très mesurée. En France, quelques maires et figures politiques en appellent toutefois à l’ONU.

Pour autant plus de la moitié de la population arménienne – près de 80 000 personnes sur les 120 000 Arméniens habitant dans cette province autonome – l’ont quittée, sous la pression d’un ethnocide qui a déjà fait de nombreuses victimes.

La population arménienne quitte donc la province enclavée en Azerbaïdjan, sans que l’Europe ne s’en émeuve, pas plus que la Russie pourtant tenue d’assurer, en théorie, son rôle d’interposition et de soutien à l’Arménie… Il faut dire que la realpolitik tant de l’Europe que de la Russie ne saurait mettre à mal les relations déjà délicates autant que difficiles avec la Turquie, grande allié des Azéris dont les origines turciques sont bien connues.

La Turquie est membre de l’OTAN, gardienne des portes d’entrée et de sortie de la Mer noire, participe au commerce de l’armement et des technologies diverses, notamment en matière de drones.

C’est pourtant bien une nouvelle manifestation de guerre de religion qui frappe les franges orientales de l’Europe. Les chrétiens arméniens, comme leurs aînés en 1915 (près de 1,5 million de morts victimes des Turcs), sont bien les cibles de puissances musulmanes désireuses de pousser leur pions conquérants et prosélytes dans le Caucase, aux portes de la Russie…

Irrémédiablement, les éléments tangibles semblent s’accumuler quant à une nouvelle phase de grandes turbulences sécuritaires qui s’amplifient au gré des années 2010.

En Afrique, les coups d’Etat sont autant de preuves de dichotomies socio-politiques fortes au sein des pays concernés. Jean-Marc Simon souligne combien d’ailleurs la notion de démocratie doit y être valider et conforter : « Afrique : la démocratie à l’épreuve » (Rubrique Humeurs).

En Ethiopie, la guerre ouverte a laissé le champ libre à un ethnocide lancinant au Tigré, là encore dans une déplorable indifférence internationale. Théordore Rayane fait le point sur cette crise majeure : « Tigré : une guerre peu médiatisée mais très meurtrière » (Rubrique Géopolitique).

En matière de polémologie, Marine de Guglielmo Weber montre d’ailleurs que les changements climatiques et leurs conséquences inhérentes sont autant de vecteurs propices à des explosions conflictuelles : « Changements climatiques et foyers de conflits dans le monde » (Rubrique Géopolitique).

Et incontestablement, les phénomènes migratoires font partie de leurs effets. Pour l’Europe, les conséquences sont d’autant plus lourdes que les vagues migratoires vont être de plus en plus prégnantes dans les décennies à venir. L’occasion pour Olivier Passet d’insister sur « Les dilemmes européens face aux vrais défis migratoires » (Rubrique Economie).

Quant à André Dulou, il nous propose une nouvelle Revue d’actualité et met en avant une question qui semble redevenir fondamentale pour notre époque si malmenée : « Liberté d’expression : Est-il encore permis de débattre ? ». Il offre aussi quelques angles de lecture géopolitiques, économiques et sécuritaires, tout en rappelant, sur le plan historique, que la Ve République a…65 ans…

En matière d’ouvrage à souligner, nous vous proposons de porter votre attention sur la dernière publication de Pierre Bourgois, « Le néoconservatisme américain », paru aux éditions PUF. Le néoconservatisme aux Etats-Unis dépasse en effet la vie politique bipartisane du pays et témoigne d’une omniprésence depuis les années 1960, tant dans les actions à l’international que dans la politique intérieure.

Bonne lecture

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

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